Île d’Oléron : un repos mérité pour les mamans courage
Durant une semaine d’été, des mères isolées avec leurs enfants, accompagnées par le Secours populaire de Corrèze, ont pu vivre une semaine de vacances à Saint-Pierre- d’Oléron, loin d’un quotidien où, seules, elles doivent élever leurs enfants tout en luttant contre la précarité qui ne leur laisse pas de répit. Sur l’île, le temps de cette parenthèse faite de repos et d’amitié, les difficultés sont enfin rejetées loin au large.
- Rédigé par : Pierre Lemarchand
- Mis à jour le : 22/07/2021
Lisa Miquet
La pluie, qui s’est invitée d’abord légèrement dans cette matinée de juillet, est devenue de plus en plus insistante. A présent, il pleut à verse sur le marais salant de Grand Village. Le pas des onze mamans invitées pour une semaine de vacances sur l’île d’Oléron ne faiblit cependant pas : elles avancent, déterminées. Mais il faut bientôt se résoudre à rebrousser chemin : l’ondée empêche d’y voir à deux mètres et détrempe tout. Au pas de course, et dans un éclat de rire, les mamans et leurs enfants slaloment entre les flaques, avec les trois accompagnatrices de la fédération du SPF de Corrèze et leur guide Hervé, jusqu’au car garé sur le bord de la route.
« Quelle force ont ces femmes ! Elles avancent pour leurs enfants, coûte que coûte et malgré les difficultés. Et cela m’émeut beaucoup, cette énergie qu’elles déploient dans leur combat au quotidien », songeait Nathalie, bénévole, le matin au petit-déjeuner. « Oui, moi aussi…, répondait Christiane. Je les appelle souvent les mamans courage ! »
Souffler un peu
C’est Christiane, bénévole à la fédération du Secours populaire de Corrèze, qui a imaginé il y a six ans ces vacances dédiées à des mamans qui élèvent seules leurs enfants. A l’issue d’une journée d’évasion organisée pour des familles en difficulté, certaines mamans lui avaient confié s’être senties à l’écart en tant que mères isolées et c’est alors qu’elle initia ce séjour sur l’île d’Oléron. Depuis, chaque année, dans le village de vacances de la Martière à Saint-Pierre-d’Oléron, une quarantaine de vacancières et enfants, accueillis par le Secours populaire, se retrouvent pour une semaine de détente et de découvertes. « Le premier jour, certaines mamans n’ont pas pu s’empêcher de nettoyer la table du repas, de faire le ménage dans la chambre. Puis elles ont compris qu’elles pouvaient enfin prendre du temps pour elles », raconte Nathalie.
« Ça faisait trois ans que nous n’étions pas parties avec ma fille, confie Alexandra. Lucille passe de bonnes journées et moi, je souffle un peu. Nous sommes toujours l’une avec l’autre, c’est parfois conflictuel et là, sur l’île, on a su trouver des moments de complicité, de cohésion. » Le car roule sous un ciel qui se dégage enfin. Hervé, au micro, conte l’histoire des maisons d’Oléron et des gens qui les ont habitées au fil des siècles, tandis que Mélissa, la plus jeune fille de Béatrice, chantonne au fond du car. Le véhicule s’arrête bientôt car, dans un village, Christiane aperçoit une pâtisserie où l’on trouve les délicieux chocolats à la fleur de sel qui font le bonheur des résidents de la Martière. « Je suis si heureuse de pouvoir rapporter des petits souvenirs », souffle Cassandra, mère de deux enfants, avant de confier que sans l’argent que lui a donné sa propre mère avant de partir, elle n’aurait pu acheter quoi que ce soit…
L’un des plaisirs de cette semaine de vacances en pension complète, de l’avis d’Agnès comme de toutes les mamans, est de pouvoir « se mettre les pieds sous la table ». ©Lisa Miquet
L’occasion de parler enfin
Quand le car se gare sur le parking de la Martière, la cour d’une ancienne et majestueuse ferme de maître, tout le monde court aux chalets pour aller revêtir des habits secs avant d’aller déjeuner. Tandis que les enfants jouent, à la piscine ou dans le grand jardin, les mamans dégustent un café et discutent par petites grappes. Les sujets oscillent entre gravité et légèreté. Les difficultés de la vie quotidienne, le manque d’argent, la charge de s’occuper seule d’un foyer visitent bien sûr les échanges, mais aussi un débat passionné sur les mérites respectifs de Clint Eastwood et George Clooney : les cœurs balancent, mais c’est finalement George qui l’emporte. La classe incarnée, pas de doute possible, c’est bien lui.
Le temps file doucement ; Alexandra joue de la guitare, Anne et Sandra écrivent des cartes postales, Dudu est partie faire la sieste. Pas loin, la chienne Pistache et la chatte Minette font de même : « Elles sont résidentes à l’année toutes les deux, elles ont de la chance ! », s’exclame Anne. Le séjour trouve son équilibre entre les activités (visite des salines, balade en bateau, visite de La Rochelle, pêche à pied, plage, etc.) et des temps libres, afin que chacune puisse vivre à son rythme. Toutes les mamans s’accordent sur un point : ce qu’elles apprécient particulièrement lors de cette semaine en pension complète, c’est de pouvoir prendre du temps. « Mon activité principale, c’est papoter avec les autres mamans ! », avance avec humour Sandra. « Déconnecter du quotidien », « mettre les pieds sous la table » sont des expressions qui reviennent régulièrement dans la bouche de ces femmes dont le quotidien est mené tambour battant. « Les enfants prennent à ces femmes tout leur temps, elles ont finalement très peu l’occasion de parler, de se raconter. Et là, elles peuvent le faire », éclaire Christiane.
Anne et sa fille Léonie écrivent quelques cartes postales au village de vacances de La Martière, à Saint-Pierre-d’Oléron. ©Lisa Miquet
Solidarité rime avec sororité
« Les mamans s’entraident à garder les enfants pour que les unes et les autres dégagent un peu de temps, explique Sandra. C’est comme ça que j’ai pu faire l’activité yoga et massage. » Les amitiés se lient au fil du séjour entre les enfants, mais aussi entre les mères ainsi que les trois bénévoles qui accompagnent le séjour, Christiane et Nathalie, ainsi qu’Anna, jeune stagiaire qui s’est vite transformée en grande sœur pour les enfants et les adolescents. « Ce séjour change les relations avec les familles, crée une intimité, nous met sur un pied d’égalité, souligne Christiane. Notre regard les unes sur les autres change. Et cette relation d’égale à égale est importante car elle efface la distance entre celle qui donne et celle qui reçoit. » Ici, à Oléron, solidarité rime avec sororité. Nombreuses sont les femmes aidées par le Secours populaire à y être aussi bénévoles, à Tulle comme à Brive-la-Gaillarde. « Je suis aidée et j’aide à mon tour : c’est très important pour moi que ça aille dans les deux sens », confirme Anne.
Hervé sonne le rassemblement : une chasse au trésor est prévue cette fin d’après-midi. Les équipes se constituent naturellement : chaque maman est rejointe par ses enfants, qui réapparaissent comme par miracle dans le décor. « Pas de panique, si vous galérez, je donne des indices ! », informe, malicieux, Hervé aux participants. Ce ne sera pas nécessaire. Les mamans déploient immédiatement des monceaux d’énergie, rompant avec la langueur du début d’après-midi. Laetitia, aux côtés de son fils Andy, est d’une concentration impériale tandis qu’Enchati court plus vite encore que ses trois garçons – son hijab violet voltige et son rire cascade. Oubliés, les maux de dos occasionnés par des travaux difficiles, estompées, les grandes fatigues, rejetées, les angoisses qui paralysent. Toutes se sentent légères, tandis que les nuages continuent de se dissiper et que le soleil apparaît enfin dans le bleu du ciel.
Merci encore
Après le dîner, Hervé a donné rendez-vous a tout le monde dans la petite salle polyvalente, pour une soirée consacrée aux chants de marin. A capella ou accompagné de sa guitare, il interprétera ces vieux airs qui sont parfois nés ici, sur ce bout de terre planté dans la mer. Il invitera tout le monde à chanter avec lui, taper des pieds ou dans ses mains. La salle à manger est vide à présent, seules Christiane et Nathalie, qui ont commencé à dîner tardivement, demeurent attablées. Alexandra s’approche, sa guitare à la main et s’assoit face à elles. Elle leur a écrit une chanson, leur dit-elle, et aimerait leur chanter. Pour les remercier. Elle les regarde droit dans les yeux, commence à jouer trois accords éternels – mi mineur, sol, ré – et entonne :
Merci encore pour ces moments même éphémères
Pour que des gamins puissent aller voir enfin la mer
Sans votre temps, votre dévouement, on ne pourrait pas le faire
Même les vacances, vous êtes présentes, sur le pied de guerre.
« Je suis accueillie au Secours populaire depuis deux mois. Je suis photographe auto-entrepreneuse. Les confinements m’ont plongée dans la précarité car je ne parvenais plus à travailler. Je suis propriétaire, je ne pouvais prétendre à aucune aide, c’est pour cela que les services sociaux m’ont orientée vers le SPF. J’ai toujours honoré mes charges, mes factures, mais je n’avais plus d’argent du tout pour faire bouillir la marmite. Pousser la porte du SPF n’a pas été facile … J’ai repoussé ce moment jusqu’au bout, jusqu’à ce que je n’aie plus le choix. Alors j’ai frappé et j’ai été accueillie avec le sourire. Les bénévoles étaient chaleureux, et ils m’ont rassurée. »
Sandra
« Je suis aidée par le Secours populaire et je suis bénévole aussi. Je mets les denrées alimentaires en rayon au libre-service. Ces dix dernières années, j’ai travaillé et n’ai plus eu besoin d’aide du SPF. Mais, suite à des problèmes de dos, je me suis fait licencier et depuis quelques mois, j’ai à nouveau besoin d’aide. La dernière fois que je suis partie en vacances, c’était il y a dix ans, c’était déjà avec le Secours populaire ! Ma fille passe de bonnes vacances, elle s’est fait plein d’amis. Et moi aussi, je me suis fait des amis. Ce que j’ai le plus aimé, c’est aller à la mer ramasser des coquillages. Et aussi passer des soirées avec mes copines. On prend soin de nous, on se fait des masques ! »
Dudu